Rapport Spinetta : Nous ne monterons pas dans le train En Marche !

A l’occasion d’un de ses innombrables exercices de communication « sur le terrain », Emmanuel Macron a parlé de « Big Bang » pour la SNCF. Expression à moitié juste, car si l’on entrevoit clairement l’explosion, on n’a en revanche pas le moindre éclairage sur la création. Au contraire. Écrit sur commande du pouvoir, le rapport Spinetta n’a qu’un mérite : confirmer aux Français l’intention présidentielle de liquider le service public ferroviaire français.

Depuis la publication de ce rapport, les commentateurs, comme on pouvait s’y attendre, se succèdent sur les plateaux TV et se répandent en éditos aussi paresseux que révérencieux pour féliciter « l’audace » et le « courage » de cette entreprise de démolition.

Comme c’était également à prévoir, ils mettent les difficultés de la SNCF entièrement au compte du monopole et de ses « archaïques » missions de service public, ainsi bien sûr qu’au statut des cheminots, exigeant qu’on applique sans délai la totalité des recommandations formulées par l’ancien Président du Conseil de surveillance d’Areva.

L’ouverture à la concurrence prévue par les règlements européens étant « inéluctable », il faut bien adapter la SNCF à cette nouvelle donne, en supprimant près de 10.000 km de lignes jugées « peu fréquentées et non rentables », nous dit le rapport Spinetta. Cela permettrait d’alléger le « fardeau » supporté par la puissance publique, dont les contributions diverses (essentiellement via l’Etat et les Régions) s’élèvent à 10,5 milliards annuels. La fin programmée du statut des cheminots, hormis ses vertus cathartiques pour ceux que les notions de progrès social et d’emploi garanti insupportent, aurait aussi son (petit) effet budgétaire.

Mais derrière tous ces arguments de « bon sens » et l’excuse de « l’Europe » se dissimule une rationalité purement idéologique et financière.

Premièrement, l’ouverture à la concurrence n’est pas inéluctable. Certes, les règlements et les directives proclament le sacro-saint « libre jeu du marché ». Mais en cette matière spécifique du ferroviaire, les textes conservent de beaux restes des « services d’intérêt économique général », la dénomination juridique européenne pour nos services publics, arrachée de haute lutte par Lionel Jospin à l’époque où l’adjectif « socialiste » gardait toute sa force.

Ainsi, le dernier règlement de 2016 permet toujours aux Etats d’opter, via la concession de service public, pour un monopole de fait : « l’autorité compétente peut décider d’attribuer directement [c’est-à-dire sans passer d’appel d’offres] des contrats de service public de transport de voyageurs par chemin de fer (…) lorsqu’un tel contrat aurait pour effet d’améliorer la qualité des services ou le rapport coût-efficacité ».

Dès lors, si la mise en concurrence des lignes rentables (TGV et grands axes TER) n’est pas obligatoire mais qu’elle relève d’un choix politique, alors il n’y a pas plus d’obligation de transformer la SNCF en société anonyme (S.A), comme ce fut le cas jadis pour La Poste et France Telecom.

L’objet d’une S.A étant de se financer par des capitaux privés, ce statut est en effet mieux adapté à une situation où il faut sans cesse conquérir de nouveaux marchés à l’international afin de compenser ceux qu’on a perdus chez soi. La S.A est un vecteur d’expansion capitaliste, et même si Guillaume Pépy nous assure que la privatisation est inenvisageable, « même pas en rêve », a-t-il martelé à la radio, la transformation de la SNCF en S.A, combinée à la fin du statut des cheminots, annonce bien une privatisation, au moins partielle (lorsque l’Etat aura repris la dette, car il la reprendra, monopole ou pas).

Le ferroviaire n’étant pas obligé de passer sous la coupe du marché et donc pas obligé d’être « rentable » pour ses (futurs) actionnaires, il n’est pas non obligé de se débarrasser des petites lignes déficitaires. Certes, on ne peut pas graver éternellement dans le marbre une ligne que plus personne n’emprunte, mais de quoi parle M. Spinetta précisément ? De ce « tiers du réseau (lignes de catégorie UIC 7 à 9), 200 lignes où le trafic moyen n’est que de 13 trains par jour (…) d’une moyenne de 30 voyageurs par train ». Il suffit de calculer : sur chacune de ces lignes qui relient la France rurale, périphérique, la plus éloignée de tout, aux métropoles et aux grandes villes régionales, il y a près de 150.000 voyages par an ! Ce qui représente, pour 200 lignes, 30 millions de voyages.

Cette vision de la France est démoralisante, triste et même assez monstrueuse. Elle en dit long sur la conception de notre pays par ces calculateurs froids, qui s’arrêtent à un instant T pour décider que des portions énormes du territoire seront livrées à elles-mêmes, ou plutôt à la bagnole, aux autocars et aux émissions de gaz à effet de serre. Et tout ça pour quelle économie ? M. Spinetta la chiffre à 1,2 milliard par an, soit… le quart de la suppression de l’ISF sur les détenteurs d’action.

Par idéologie, on décide entre soi d’amputer l’accès à la mobilité de millions de Français, soi-disant pour investir dans les métropoles en faveur des RER ou des grands axes du TER, alors qu’il ne s’agit que d’une opération purement financière, à courte vue, ne se demandant même pas si la France des campagnes pourrait se repeupler et revivre. Pour équilibrer les comptes et s’assurer des dividendes, on abandonne nos régions, nos paysages, nos villages à leur triste sort.

Bien évidemment, la SNCF peut et doit s’améliorer, mais à condition de respecter sa mission de service public, c’est-à-dire l’égalité entre les territoires et pour tous les Français ! Or, que ceux-ci vivent en banlieue ou en Lozère, le concert de louanges autour du rapport Spinetta cache le nœud du problème : le prix ! En chef d’entreprise, il est bien obligé d’en parler, quoique très discrètement : « d’après une étude récente, le prix moyen est en France de 7,8€ pour 100km, contre 29,7€ au Danemark, 28,6€ en Suisse, 24€ en Autriche. L’Italie et l’Allemagne auraient également des tarifs plus élevés ».

Le service public à la française est contenu presque tout entier dans cette phrase. Si la puissance publique contribue à raison de 10 milliards par an au ferroviaire, c’est aussi et surtout pour assurer les tarifs les plus faibles d’Europe (seule la Grande-Bretagne est moins chère, mais la comparaison est faussée car elle n’a pas de TGV) et l’une des meilleures qualités. Les prix sont bas car la socialisation est haute (particulièrement sur les TER, dont la vente de billets ne couvre que 25% du coût). Si on passe à la concurrence, si la puissance publique arrête de subventionner la SNCF, les voyageurs paieront plus cher, beaucoup plus cher. Jean-Cyril Spinetta l’a d’ailleurs reconnu, sans que personne ne s’en émeuve : « la hausse des tarifs est inéluctable ».

Au-delà de la SNCF et du chemin de fer, le débat actuel porte bien sur la conception de la République et de ses bras armés, les services publics. On ment beaucoup à l’opinion publique et on lui cache le véritable objectif : abandonner les territoires périphériques sous couvert de concurrence et de rationalité économique, en finir avec la péréquation et la solidarité nationale au nom de la voracité jamais assouvie du monde de la finance.

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