Du « discours sur l’art » à « la politique culturelle » par Emmanuel Maurel

S’il est bien un lieu commun de la politique française, c’est que le Parti socialiste est avant tout un « parti culturel ». L’« ode à la culture » est devenue un passage obligé pour tout dirigeant progressiste digne de ce nom, et il est communément admis que le socialiste est, naturellement, « du côté des créateurs »… et réciproquement. Ce texte est paru initialement le 12 juillet 2012 dans La Revue Socialiste.

Pour les socialistes exclus du pouvoir, les « discours sur l’art » ont longtemps précédé (et préparé) les « politiques culturelles ».

Dès les prémisses du socialisme français (le premier 19eme siècle), la question esthétique occupe une place de choix dans la littérature théorique. Avec des variantes importantes, les saint simoniens, les fouriéristes, les socialistes chrétiens (et notamment Pierre Leroux) interrogent le rapport entre l’art et la société, et s’accordent sur deux points essentiels, qu’on résumera ainsi en termes « modernes » : l’art est le véhicule (ou le reflet) d’une idéologie dominante produite par un système naturellement mauvais, le capitalisme, et par une classe naturellement décadente, la bourgeoisie. Le nécessaire changement social et l’avènement d’une humanité nouvelle passe donc par un art nouveau. Promouvoir « l’art social »[1], c’est assigner aux œuvres et aux créateurs une mission politique: montrer le vrai, dire le juste, allier le beau et l’utile dans une société que les injustices rendent laide et décadente.

A la recherche de l’art social

Ces préoccupations rejoignent le souci de certains artistes, qui, s’ils ne se reconnaissent pas dans les petites « sectes » socialistes, ont pris conscience de la nécessité de représenter la vie du peuple dans leurs œuvres. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les Mystères de Paris (1842) d’Eugène Sue ou le compagnon du Tour de France de Georges Sand (1841) seront ainsi enrôlées du côté de l’art social, comme plus tard les Misérables de Victor Hugo. Or si Sand était acquise aux idées de Pierre Leroux, Eugène Sue a commencé à écrire les Mystères simplement pour « intéresser le beau monde aux dessous pittoresques du mauvais [2]» (préface Bouquins). Mais le succès inouï de son roman feuilleton fait de lui, et malgré lui, une sorte d’annonciateur de 1848 et le symbole vivant des artistes épousant la cause du peuple. L’attention portée ainsi aux gens de peu, aux travailleurs des manufactures, aux paysans, aux « bas fonds » même, n’obéit pas forcément à des visées politiques : mais, dans un contexte de grandes mutations économiques, la simple évocation de la « question sociale » a quelque chose de subversif.

Notons que le débat qui s’esquisse porte plutôt sur le sujet de la représentation que sur les formes de la représentation. L’idée saint simonienne selon laquelle «la vaillance artistique devait forcément avoir pour pendant la vaillance sociale, et que la révolution des formes accompagnerait forcément une révolution plus globale[3] » ne s’impose pas.

Et même quand Proudhon, dès 1850, prend la défense de l’œuvre d’un Gustave Courbet dont le « réalisme » heurte le bon goût bourgeois plutôt porté vers l’académisme, c’est plus l’ « utilité morale », le contenu de l’œuvre qui lui importe plutôt que les innovations formelles (la lecture de son essai publié à titre posthume, Du principe de l’art et de sa destination sociale, le confirme). Au 19ème la coïncidence entre avant-garde politique et avant-garde artistique, si répandue au siècle suivant, ne va pas de soi.

Avec l’émergence du mouvement ouvrier et la naissance du socialisme comme doctrine cohérente portée par des organisations identifiées, la question esthétique devient vraiment un élément du débat politique. Parce que le socialisme est à la fois une critique et un projet, les artistes sont invités à penser la création à la fois comme dénonciation et comme proposition.

La tentative la plus originale de concilier la pratique artistique et le projet socialiste est à mettre au crédit d’une personnalité un peu en marge, l’anglais William Morris, qui tente de donner un débouché concret à ses idées développées notamment dans sa conférence « l’art en ploutocratie » (1883) et sa brochure « Art and Socialism » (1884). Morris, très tôt militant de la Socialist League, ne se contente pas de proclamer que « la cause de l’art, c’est la cause du peuple ». Pour lui, le capitalisme exploite les travailleurs tout en les maintenant dans un environnement quotidien d’une effrayante laideur (production de masse d’objets standardisés obéissant à la seule logique du profit maximum). Le socialiste conséquent doit donc promouvoir le « droit au beau » pour tous, mais aussi le droit à la création pour tous (qui suppose de refuser la distinction entre artiste et artisan) qui s’imposeront dans la cité future. Ici, l’art ne se résume pas à ses expressions « nobles » (peinture, poésie, musique, etc…) mais doit être entendu plutôt comme « cadre de vie ». Précurseur de l’art nouveau et du design,  Morris s’intéresse à l’architecture, mais aussi à la décoration intérieure et à tous les arts appliqués.  Il mettra d’ailleurs en pratique cette conception du  socialisme comme « art de vivre » en créant une coopérative ouvrière aux résultats florissants, la Morris and Co, spécialisée dans la fabrication de vitraux, de textiles te de papiers peints[4].   

L’art, c’est politique !

Mais c’est surtout en littérature que l’influence du courant socialiste se fait sentir à la fin  du 19ème siècle. Si les écrivains militants sont rares, ceux qui se reconnaissent dans la critique sociale ne le sont pas et pourraient adhérer aux propos d’un Octave Mirbeau quand il écrit à Jules Huret : « Oui, mon cher ami, l’art doit être socialiste, s’il veut être grand. Car qu’est ce que cela nous fait les petites histoires d’amour de Marcel Prévost ? [5]». Sous la plume de l’auteur du Jardin des supplices, le qualificatif de « socialiste » évoque, plus qu’un projet politique progressiste, une réaction salutaire par rapport aux canons esthétiques de l’art bourgeois qui se contente de représenter la vie des classes dominantes.

Prévost, et surtout Paul Bourget, incarnent une littérature fade et psychologisante vouée à la seule décortication des tourments et des états d’âme des nantis (« je compris que dans ce milieu, on ne commence à être une âme qu’à partir de cent mille francs de rente. », écrit l’héroïne de Mirbeau à propos de Bourget dans le Journal d’une femme de chambre).

Quelques années après les débuts de la IIIème République s’affirme un courant esthético-politique en faveur de « l’art social », popularisé par des clubs (le plus connu est fondé notamment par l’écrivain JH Rosny, apprécié de Jaurès), des brochures théoriques (Art et socialisme de Léon Destrées, l’écrivain et l’art social, de Bernard Lazare), des nombreuses conférences.

Les critiques littéraires socialistes et anarchistes font cause commune et s’en prennent autant écrivains bourgeois qu’aux théoriciens de «  l’art pour l’art », qui n’assignent à la création aucune fin sociale, et qui se refusent à cette sainte alliance du Beau et du Juste. L’indifférence au sort du peuple, et en particulier aux souffrances des travailleurs, que certains croient percevoir chez les symbolistes, décadents et autres  parnassiens est dénoncée avec force. « Ce n’est pas ainsi que nous devons concevoir l’art, nous qui travaillons pour demain. Pour nous, le rôle de l’écrivain n’est pas de jouer de la flûte sur une tour en contemplant son nombril ; l’artiste n’est ni un solitaire, ni un amuseur et l’art doit être social » (Lazare, l’écrivain et l’art social, cité par Marc Angenot). Cette opposition, certes un peu caricaturale, entre partisans de « l’art social » et défenseurs de « l’art pour l’art » ou romanciers mondains conformistes sera évidemment exacerbée par « l’Affaire », puisque la majorité des premiers seront dreyfusards, et la majorité des seconds antidreyfusards[6]. Il faudrait beaucoup nuancer (ce que nous ne pouvons faire faute de place) mais ce qui est sûr, c’est qu’à partir du milieu de cette décennie, « diverses affaires rendent moins tenable le repliement orgueilleux dans la revendication exclusive de l’art pour l’art : les circonstances font que les écrivains se voient rattrapés par la politique qu’ils affectaient d’ignorer[7] ».

Incontestablement, l’Affaire Dreyfus a accéléré la politisation du mouvement littéraire. Si la figure très française de « l’écrivain engagé » ne date pas de cette fin de siècle, elle trouve ici sa pleine mesure, avec des figures consacrées comme Zola, Mirbeau ou Anatole France (côté dreyfusard), Barrès, Bourget ou Loti (côté antidreyfusard). A l’évidence, le mouvement socialiste bénéficie de ce contexte politique : de nombreux créateurs deviennent compagnons de route. La fameuse La Revue Blanche, ouverte à toutes les avant-gardes (picturales, poétiques, musicales) se rapproche du socialisme réformiste de Jaurès. Parmi ses plus brillants critiques, un jeune homme remarquable, Léon Blum. Mais c’est surtout le lancement de l’Humanité, en avril 1904, qui témoigne de cette proximité entre un grand nombre d’artistes et le mouvement ouvrier en structuration.

La liste des collaborateurs du journal à sa fondation est impressionnante, comme l’illustre le bon mot de Briand : « ce n’est pas l’Humanité, ce sont les humanités ! ».

D’un côté, de plus en plus d’artistes s’engagent en faveur du socialisme. De l’autre, les dirigeants socialistes produisent un discours sur l’art qui peine à s’homogénéiser. Car si la plupart des grandes figures du mouvement sont également critiques d’art (essentiellement  littéraires), ils affichent des conceptions esthétiques divergentes. Très lu, Lafargue ne voit « aucune fonction propre à la littérature en dehors de son rôle directement pédagogique et militant[8] ». S’il fustige « la légende de Victor Hugo » et les « grues métaphysiques de la bourgeoisie », c’est surtout pour bien souligner ce qui sépare le courant socialiste du camp républicain. Blum, dont c’est aussi son métier, admire autant Barrès que Zola et chronique majoritairement les œuvres des écrivains installés[9].

Jaurès, Péguy, et l’art socialiste

Le cas de Jaurès est plus complexe et plus intéressant. Infatigable commentateur de la création artistique de son temps, dans la dépêche du midi (il signe « le Liseur ») puis dans l’Humanité,  le député du Tarn ne rechigne pas à la théorisation et tente, par tâtonnements successifs, de définir ce que pourrait être une « conception socialiste de l’art ». Dans deux conférences prononcées à quelques mois d’intervalle (13 avril et 26 juillet 1900), « l’art et le socialisme » et « le théâtre social », il répond clairement à la question du contenu de l’esthétique progressiste. Le discours sur « l’art et le socialisme », prononcé devant Anatole France, est le texte le plus connu, qui déclencha les foudres d’un camarade illustre, Charles Péguy. Dans celui-ci, Jaurès explique que l’art de « la démocratie bourgeoise finissante[10] » est nécessairement inachevé. Même si des grands esprits ont produit de grandes œuvres, cette « vie d’art » est  « chaotique et superficielle ». D’abord parce que l’artiste reste prisonnier de « l’interprétation individualiste de la nature ». Ensuite parce l’art n’a pas « atteint les profondeurs du peuple » et que les dominants ont maintenu cette fausse hiérarchie de valeur entre les « beaux arts » et les arts industriels ». Enfin, parce que, dans une société déchirée par le conflit de classes, l’art, à vocation universelle, reste l’apanage des privilégiés.

Constatant que « la classe ouvrière et paysanne ne dispose pas de suffisamment d’un moyen d’expression pour traduire en beauté d’art, ses sensations, ses pensées et ses rêves », Jaurès dessine les contours de l’éducation populaire, qui doit élever le prolétariat « à la hauteur de l’art. »

Mais la société socialiste ne saurait se résumer à « l’art pour tous ». Elle contient une promesse, celle « d’un merveilleux renouveau artistique qui jaillira du renouveau social ». Même si il faut attendre la révolution pour voir des « œuvres d’art pleinement homogènes et pleinement harmonieuses », Jaurès décèle dans le siècle écoulé « la première lueur de l’art socialiste, le communisme de demain ».

Il souligne le rôle déterminant du saint simonisme et au fouriérisme qui ont ouvert la voie à une nouvelle esthétique, influençant fortement les premiers romantiques, à commencer par Hugo. Mais surtout, il présente trois artistes qui, selon lui, posent les bases de la société future..

Richard Wagner, auteur d’une brochure en 1849 (Die Kunst und die Revolution), dont l’idée « d’art total » a été « inspirée par le communisme ». Zola, bien sûr, dont l’œuvre-fleuve a été soulevée « d’un magnifique bouillonnement de colère » et a participé à la « glorification de la justice et du bien et à l’annonce d’une société nouvelle ». Plus étonnant, le peintre Puvis de Chavannes, dont les tableaux et les dessins permettent d’entrevoir « la sérénité de l’humanité réconciliée avec elle-même et avec la nature ». Des créateurs donc, qui annoncent, même confusément, cet art « véritablement humain », cette unité retrouvée dans la société sans classes. Des artistes appelés à « faire alliance » avec « cette force de beauté qu’est maintenant le prolétariat organisé en marche vers la justice ».

Certains seront un peu surpris de lire un Jaurès aussi hardi, n’hésitant pas à déclamer que « nous sommes toute la beauté parce que nous sommes toute la vérité ». Dans sa conférence « sur le théâtre social », il persiste et va plus loin encore. Pour lui, le drame à tendance socialiste (le discours précède la représentation d’une pièce d’un certain Louis Marsolleau, « Mais quelqu’un troubla la fête ») doit être considéré comme un outil au service du combat social, un moyen « de hâter la décomposition d’une société donnée et de préparer l’avènement d’une société nouvelle ». Là encore, à l’issue d’un long rappel historique dans lequel il convoque Diderot, Beaumarchais, Schiller, et Dumas Fils, l’orateur assigne au théâtre une mission éminemment politique, celle de « protester contre la société d’aujourd’hui non seulement avec Marx, au nom du prolétariat qui souffre, mais encore avec Ibsen, au nom de la vérité qui se meurt ». Cette synthèse entre lutte individuelle et lutte des classes, cette idée du drame comme instrument de prise de conscience et moyen d’émancipation, « préfigure la conception brechtienne.[11] »

Dans l’esprit de Jaurès, il y a donc bien « une conception socialiste de l’art », il y a aussi, à venir un « art socialiste ». Cette conviction, tous les camarades de Jaurès sont loin de la partager. A l’époque, Charles Péguy fait partie de la jeune garde dreyfusard, auteur de beaux textes sur la future « cité socialiste[12] ». Sa réaction au discours du 13 avril est pourtant très virulente. Dans un texte intitulé « Réponse brève à Jaurès[13] », il conteste radicalement les arguments du leader de gauche. Pour lui, la seule attitude socialiste légitime en matière esthétique est la mise à disposition des moyens qui permettront à l’artiste de créer en toute tranquillité : « La création d’art contemporaine se heurte aux servitudes bourgeoises. Comme socialistes, nous travaillons de toutes nos forces, à l’affranchir de toutes les servitudes. La révolution sociale nous donnera la libération de l’art. La révolution sociale nous donnera la libération de l’art. Elle nous donnera un art libre, mais non pas un art socialiste.[14] »

Pour Péguy, l’artiste n’a rien d’un propagandiste. Au contraire, « nous demandons que les savants, comme savants, et les artistes, comme artistes, soient dans la cité affranchis de la cité (…) Nous demandons enfin que l’œuvre d’art ne soit pas faite comme la société l’aura décidé, mais librement comme les artistes l’auront désirée, l’auront voulue, l’auront eue[15] »

Quant à l’alliance des artistes et des prolétaires,  Péguy la récuse fortement : « Singuliers militants, mon ami, que ceux qui seraient tentés d’aller chercher dans la vie militante un principe nouveau, une nouvelle force de beauté. (…)Malheureux ceux qui vont chercher dans la vie militante ce qu’elle n’est pas faite pour donner, pour nous donner. Malheureux ceux qui n’y cherchent pas uniment la réalisation d’un modeste idéal. Malheureux sans doute parce qu’ils sont immoraux. Malheureux ensuite parce qu’ils seront déçus[16]»

En revanche, et contrairement à Jaurès qui avait écarté le problème dès le début de son discours du 13 avril, Péguy s’intéresse aux conditions de travail de l’artiste, à ses contraintes économiques. Ainsi, à « l’art au service du socialisme », le rédacteur des Cahiers de la quinzaine oppose « le socialisme au service de l’art »..

Si le débat sur « l’art socialiste » n’est pas clos, les dirigeants politiques semblent chercher vainement le romancier ou le dramaturge (car Marcel Sembat mis à part, peu nombreux sont les socialistes portant attention aux avant-gardes picturales) dont l’œuvre incarnerait pleinement cette direction nouvelle.  Les tentatives de « théâtre social » sont peu concluantes. Quant aux « romans socialistes », ils sont aussi rares que médiocres. Les orthodoxes se rassureront en relisant Marx et Engels qui avaient, dès la Sainte Famille, fait un sort aux œuvres « à thèse ». Engels reprendra d’ailleurs ce thème à la fin de sa vie, préférant Balzac à Zola car « la tendance doit ressortir de la situation et de l’action elles mêmes, sans qu’elle soit explicitement formulée, et le poète n’est pas tenu de donner toute faite à son lecteur la solution historique future des conflits sociaux qu’il décrit » (lettre à Minna Kautsky, 1888). Pour le vieux compagnon de Marx, l’artiste doit faire vivre des êtres, non mettre en scène des idées. Il ajoute même que « plus les opinions politiques de l’auteur demeurent cachées et mieux cela vaut pour l’œuvre d’art. » (Lettre à Margaret Harkness, avril 1888).

Si les socialistes trouvent des raisons d’espérer, c’est dans la littérature….américaine. Jack London (Le talon de fer) et surtout Upton Sinclair (la Jungle) enthousiasment la gauche. Jean Longuet, explique ainsi, dans la Revue Socialiste, que « la philosophie de Zola était le socialisme utopique de Fourrier, celle de Sinclair est le socialisme moderne de Marx.[17]»

Cette attention à la littérature contemporaine ne doit pas occulter un fait important. Dans le mouvement socialiste désormais unifié, la compréhension des avant-gardes esthétiques qui foisonnent avant la Guerre est très limitée. Jaurès, Blum et les autres restent prisonniers de leur formation bourgeoise assez conformiste. Madeleine Rébérioux le dit sévèrement à propos du leader de la nouvelle SFIO : « peu sensible à la contestation picturale et guère davantage au renouvellement littéraire dans ce qu’il a de plus hardi[18] », Jaurès, comme la plupart de ses condisciples, n’est guère « effleuré par l’idée que le socialisme pourrait être porteur d’un autre mode de perception du monde ». Elle constate ainsi le « divorce entre le parti qui se considérait comme porteur de l’avenir du socialisme et les recherches par lesquelles s’élaborait une nouvelle vision du monde ».

Une chose est de plaider pour un art nouveau, une autre est de savoir en repérer les plus éclatantes manifestations. Erik Satie notait avec causticité cette « anomalie » que constituait le cas Debussy qui n’aimait pas « la journée de huit heures et l’augmentation des salaires ». Il ajoutait « ce révolutionnaire en Art était très bourgeois dans l’usage de la vie [19]». L’inverse est vrai.

Art et révolution

On passera rapidement sur les décennies suivantes ! Non qu’elles soient, relativement à notre sujet, négligeables, loin de là. Mais elles ont été maintes fois étudiées, commentées, et les programmes des lycées y font bonne place.

Résumons à grands traits, donc sans nuance. A la fin de la guerre, c’est la Révolution. La vraie. Les créateurs qui l’appelaient en art l’embrassent en politique. Surréalistes, dadaïstes, cubistes : s’ils ne sont pas encartés, ils sont fascinés par l’URSS, et donc plus proches de ceux qui se revendiquent des bolchéviks en France (le tout nouveau Parti Communiste Français) que de la « vieille maison ». Les vieilles maisons, ça reste des vieilleries. Même Anatole France, compagnon de la SFIO, écrit un « salut aux Soviets » ! Alors, bien sûr, on pourra toujours gloser sur le comportement politique erratique des surréalistes qui ne goutent guère l’enrégimentement rouge. Il n’empêche. Les avant gardistes ont plutôt la tête à l’Est. Il faut dire qu’au tout début de la période soviétique, celles-ci sont plébiscitées : Malevitch, Maïakovski, Eisenstein, tous les créateurs audacieux y trouvent leur compte. Et le commissaire du peuple à la culture, Lounartcharski sillonne la Russie pour porter la bonne parole, celle d’un art en liberté, celle de l’ouverture des musées au peuple et de la construction de grandes bibliothèques. Staline va mettre tout ces enthousiastes au pas, imposant à coups d’excommunications un « art prolétarien » qui, s’il n’est pas toujours exempt d’une certaine beauté, incarne la négation absolue de la création libre. En 34, Gorki présente lui-même les codes du réalisme soviétique (l’ouvrier et le paysan comme thèmes, la peinture figurative, la musique harmonieuse, etc…). Ceux qui refusent de prêter serment à Staline se terrent, se tuent ou sont tués. Les autres tremblent, tel ce pauvre Chostakovitch, pourtant bien disposé envers le régime, mais qui a contre lui d’avoir écrit un opéra, Lady Macbeth, qui déplaît beaucoup au maître du Kremlin. Accusé d’hermétisme et de formalisme petit bourgeois, le compositeur frôle de peu l’exécution et se rachète en composant une pâle et vertueuse Symphonie (la 5ème, dont le sous titre est tout un  programme : « réponse créative d’un artiste soviétique à de justes critiques »). En cachette, il en écrit une autre (la 4ème symphonie), bouleversante et déchirante, qui attendra plus de 20 ans avant d’être jouée.  

A Moscou, l’art prolétarien et la glaciation. A Paris, les artistes sont souvent communistes mais ne prennent pas trop de risques. Aragon et Eluard peuvent continuer à bousculer les codes tout en rédigeant, de temps à autres, de peu glorieuses odes au Petit père des peuples. Darius Milhaud et Arthur Honneger discutent musique dans l’Humanité, comme Louis Delluc, Georges Sadoul, René clair y chroniquent le cinéma. Quant à Paul Nizan, terrible imprécateur et génial découvreur, il annonce l’avènement proche d’une « littérature du bonheur[20] », tout en ayant bien soin de rappeler que « toute littérature est propagande ».

A gauche donc, le paysage est simple : suprématie des artistes révolutionnaires, et parmi eux une majorité de communistes pas trop regardants sur le stalinisme. Bien sûr, il y a ceux qui sauvent l’honneur. Parmi eux, Breton, qui non content d’interpeller ses anciens petits camarades surréalistes tombés dans l’eau soviétiquement bénite, écrit avec Trotsky un manifeste percutant, « pour un art révolutionnaire et indépendant », qui rappelle utilement que « si, pour le développement des forces productives matérielles, la révolution est tenue d’ériger un régime socialiste de plan centralisé, pour la création intellectuelle elle doit dès le début même établir et assurer un régime anarchiste de liberté individuelle[21] ».

Et les socialistes dans tout ça ? Pris entre « le double mouvement de l’irruption du nouveau parti et d’avant-gardes artistiques dont la politisation ne cessera de hanter la vie culturelle [22]», ils semblent décalés. Si la SFIO se reconstruit rapidement grâce à son réseau d’élus locaux et de parlementaires, elle ne peut rivaliser avec la force de frappe culturelle du PCF, son leadership intellectuel. Et délaisse, pour un temps, les débats esthétiques, se bornant au rejet du « Proletkult ».

De l’art à la culture

Il y a bien certaines entreprises de théorisation qui méritent l’intérêt. Même si le texte  ne fut pas publié à l’époque, le travail de Maurice Deixonne, exhumé récemment par l’OURS[23], retient l’attention.

Dans le cadre de son groupe « révolution constructive », ce jeune normalien, épaulé par une dizaine d’intellectuels (parmi lesquels Georges Lefranc et Claude Levi Strauss), entreprend une « exploration globale de la solution à la crise politique, économique et morale de la société [24]». L’esthétique fait partie des sujets « explorés », et le texte « l’art et le socialisme », écrit par Deixonne et relu par Lévi Strauss, se veut une mise au point doctrinale aussi ambitieuse que le fut celle de Jaurès 30 ans auparavant.

Le texte est sévère pour l’art prolétarien, ses défilés, ses bustes et effigies et ses inévitables pièces à thèses («  quant au socialisme, quel bénéfice peut-il tirer de l’asservissement de l’art ? »). Il l’est tout autant pour la société capitaliste dont la dynamique de standardisation a fait progressivement disparaître l’« art populaire original » (folklore, coutumes, chansons), laissant « le grand public peu à peu de forger une âme de spectateur parce qu’il n’a pas le choix qu’entre le tout-fait et l’inaccessible. »

Si Deixonne a davantage d’interrogations que de certitudes (et si, finalement, la première urgence politique était simplement de faire accéder le prolétariat à cette culture bourgeoise inaccessible ?), il tente, à partir d’une distinction implicite entre création populaire et art socialiste, de trouver des solutions au problème du « divorce » grandissant entre l’art et les masses : D’où l’accent mis sur les nouvelles formes d’expression (le cinéma, le jazz), la nouvelle vague architecturale (le Corbusier), mais aussi sur des sujets aussi divers que « l’organisation des musées » ou la scénographie des grands meetings : Bref, tous ces éléments épars qui constituent ce qu’on commence à appeler « la culture ».

Car c’est là le basculement fondamental de cette fin de première moitié du siècle : le passage du discours sur l’art et les artistes à la réflexion sur culture et à la mise en œuvre des  politiques culturelles.

De ce point de vue, le Front Populaire constitue un moment clé. Au pouvoir, les socialistes ont l’occasion, enfin, de mettre en pratique leurs théories de « l’art pour tous » (faciliter l’accès à la culture de ceux qui en ont longtemps été éloignés) et de « l’art par tous » (donner à chacun l’opportunité de créer). La révolution du « temps libre », l’invention des loisirs, rend évidemment possible cette noble ambition : Jean Zay et Léo Lagrange se chargeront, avec succès, de cette action culturelle qui ne dit pas son nom[25]. Et qui fera hurler la droite, accusant Blum de vouloir « codifier le rêve », là où, en réalité, il s’agissait pour chacun d’en être à la fois le spectateur et le créateur.

Même éphémère, l’expérience du Front Populaire restera, pour les socialistes (et jusqu’aux années Lang), la référence ultime en matière de « politique culturelle ». Certes, le PCF va continuer à dominer la vie artistique et intellectuelle pendant des décennies. Certes, la SFIO de l’après guerre ressemble de moins en moins à la flamboyante équipe de 36. Mais, en matière d’art, les socialistes ont désormais leur feuille de route. L’objectif politique, c’est la « démocratisation culturelle ». Si seule la conquête du pouvoir d’Etat permettra de le réaliser complètement, la gauche non communiste dispose désormais des moyens pour y parvenir, l’éducation populaire et l’animation socio culturelle, et des structures qui vont avec (les associations, puis les collectivités locales)

Comme un lointain écho aux thèses de Péguy, c’est François Mitterrand, dans les années 70, qui tourne définitivement la page de l’art socialiste. « L’auteur réclame une nouvelle fois la conquête du temps de vivre. (…)Il existe des Etats socialistes qui sont des Etats d’oppression. Du jour où il y aurait un art socialiste, je ne serais plus socialiste[26] »

Certes, il s’agit essentiellement de marquer sa différence avec des alliés communistes encore inféodés à Moscou, de condamner toute censure au moment où l’on découvre, en France, l’œuvre des grands dissidents. Mais le glissement est perceptible : plutôt qu’un discours politique sur la nature de l’art et ses finalités, les socialistes privilégient désormais l’élaboration d’une politique en faveur de l’art et des artistes. Plutôt que l’avènement d’un art progressiste qui serait aussi un art populaire, la défense de la liberté absolue de création et la recherche des meilleures conditions de diffusion des œuvres.

Et maintenant ?

Tout a été écrit et dit, ou presque, sur les années Lang et celles qui ont suivi, et il n’est pas dans notre propos de revenir sur le bilan de la gauche de gouvernement en matière culturelle. Ce qui nous intéresse ici est bien de savoir ce que l’expérience du pouvoir long (aussi bien local que national) a apporté à notre réflexion dans ce domaine. Quel est le contenu de ce qu’on pourrait appeler une « doctrine socialiste de l’art » aujourd’hui?

Première remarque : les fondamentaux théoriques du Front Populaire demeurent. La démocratisation culturelle (l’art pour tous et l’art par tous) est le but à atteindre. Concrètement, les socialistes au pouvoir se fixent comme objectif de faciliter l’accès de tous aux œuvres d’art, mais aussi à la pratique artistique, dessinant ainsi les contours d’un « service public de la culture » (amené à s’enrichir suite à la « révolution numérique »)

Deuxième remarque : parce que l’art est aussi un « métier », les conditions de vie et de travail des créateurs constituent désormais un problème politique en soi. Le statut des artistes (voir par exemple les intermittents du spectacle), la protection des droits d’auteur, la formation professionnelle des travailleurs de l’art, font l’objet de mesures spécifiques.

Troisième remarque, qui rejoint, en terme de politiques publiques, la précédente : au sommet de la hiérarchie des valeurs socialistes en matière culturelle trône la sacro sainte « liberté de création ». Or dans une société capitaliste, la pression du marché (qui a largement tiré profit de la « civilisation des loisirs » après l’avoir longtemps combattue) sur la production esthétique est forte. Si une fraction minoritaire de l’avant-garde (et surtout dans les arts plastiques) fait la une des journaux parce qu’elle gagne beaucoup d’argent (Damien Hirst et Jeff Koons en sont les figures de proue médiatiques), l’immense majorité des artistes, notamment dans le spectacle vivant, est condamnée à la précarité sauf à se plier aux exigences des marchands. D’où la théorisation, à gauche, d’une politique de soutien public à la création (achat d’œuvres, résidences d’artistes, etc…) qui ne manque pas de soulever interrogations et critiques. Les détracteurs de « l’Etat mécène » (pourtant une vieille tradition française) et des « subversifs subventionnés[27] » sont légion, qui pointent les dérives d’ « un art officiel » voué à la seule satisfaction d’une petite élite bourgeoise friande d’expériences radicales.

A ces attaques souvent argumentées, et efficacement relayées par les medias de masse qui font mine d’y voir une forme d’institutionnalisation du mépris pour « la culture populaire » produite par l’industrie culturelle, la majorité des dirigeants socialistes a toujours répondu en brandissant l’étendard de la « diversité culturelle ».  Cette notion phare, dont la célèbre « exception culturelle » est un sous ensemble, naît d’un constat incontestable : la mondialisation capitaliste fait la part belle aux produits culturels américains qui déferlent sur tous les marchés nationaux, entraînant un mouvement général d’uniformisation. Pour protéger « la création française », mais aussi, plus largement, toutes les œuvres qui ne s’inspirent pas des standards anglo-saxons, L’Etat (et les collectivités locales) doivent promouvoir et aider à la diffusion des cultures différentes. La persistance d’un cinéma de qualité dans notre pays (incluant le « cinéma d’auteur » fort peu rentable) doit beaucoup à cette conviction.

Reste que cet attachement à la « diversité culturelle » ne véhicule apparemment aucun jugement de valeur sur l’art. Au contraire, si le discours sur la culture s’est progressivement substitué à celui sur l’art, c’est aussi parce qu’il permet d’embrasser un « champ » plus large, qui inclut toutes les formes d’expression (la Bande dessinée, la mode, la télévision, internet, etc…). Très soucieux de ne pas apparaître comme défenseur d’une culture d’élite, les socialistes se refusent à privilégier une vision hiérarchisée des arts, et de ne pas tomber dans le piège (même si, pour nombre de dirigeants, leurs origines et leur formation initiale les y prédisposeraient plutôt) de la seule valorisation de ce que Bourdieu appelait les « arts savants » (musique, peinture, sculpture, littérature, théâtre). Cette position de principe a été caricaturée par ceux qui considèrent que ce « relativisme culturel » qui ne dit pas son nom mène tout droit au « nivellement par le bas » : c’est le fameux « une paire de bottes vaut Shakespeare » de Finkielkraut dans La défaite de la pensée.

Plus que du relativisme, il faudrait surtout parler, relativement aux socialistes, d’une progressive désidéologisation du discours sur l’art. Rares sont ceux qui se hasardent aujourd’hui à assigner aux œuvres une quelconque mission politique, même si des voix s’élèvent parfois contre une littérature ou un cinéma très éloignés des réalités sociales[28]. La promotion et la diffusion de l’art sous toutes ses formes est devenu l’objet d’une grande « spécialisation » et, comme sur d’autres sujets, la visée gestionnaire (impliquant une « technicisation » de la parole politique, plus à l’aise dans l’élaboration d’une « ingénierie » que dans la théorisation) occulte finalement l’ambition doctrinale.

Bien sûr, le socialiste reste un « militant culturel » et, bien souvent, un amateur d’art.  Pour un dirigeant de gauche aspirant à de hautes fonctions, il est même nécessaire d’afficher ce « supplément d’âme » qui, en France, a toujours été apprécié chez les hommes d’Etat[29]. Il y aurait d’ailleurs un article à écrire sur l’affichage des goûts artistiques comme « stratégie de communication ».

On y verrait qu’outre l’indispensable ouverture sur la « diversité culturelle » (entendu au sens large : littérature étrangère, arts premiers, etc..), la mode est à l’éclectisme de bon aloi (la danse contemporaine et le rap, l’opéra et la BD, Benjamin Biolay et Jonnhy Halliday), moderne mais pas trop, et surtout ni « ethnocentré » ni élitiste. En filigrane, une figure qui n’a cessé de hanter les rapports entre art et socialisme : celle du peuple, dont n’a eu de cesse d’interroger les goûts, les détestations supposées, les attentes.

Emmanuel MAUREL

[1] Sur la naissance de « l’art social », voir le livre très complet de Neil McWilliam : Rêves de bonheur. L’art social dans la gauche française (1830-1850), Les presses du réel, 2007. Voir aussi les nombreux et passionnants travaux de Marc Angenot, dont « Champ contre-champ, sur l’invention de l’art social », disponible sur www.marcangenot.com 

[2] Les Mystères de Paris, Eugène Sue, collection Bouquins, introduction, page 13

[3] Laurence Bertrand Dorléac, « l’artiste » dans  la France, d’un siècle à l’autre, dictionnaire critique, Hachette,  direction de JP Rioux et JF Sirinelli

[4] Voir à ce sujet les pages émouvantes que lui consacre Michel Houellebecq dans son dernier roman, la carte et le territoire.

[5] Combats littéraires, Octave Mirbeau, éd. L’âge d’homme, p. 336

[6] En réalité, les écrivains se répartissent surtout en fonction des clivages internes à l’activité et au statut littéraire, cf. Christophe Charle, Champ littéraire et champ du pouvoir : les écrivains et l’affaire Dreyfus, Annales ESC, 1977.

[7] La vie littéraire à la Belle Epoque, G.Leroy et J.Bertrand-Sabiani, PUF, 1998

[8]«  Critiques socialistes », Gilles Candar, Recherche socialiste, décembre 1999, p.50

[9] Cahiers Léon Blum, Léon Blum avant Léon Blum, les années littéraires (1886-1914), octobre 1999

[10] Toutes les citations sont extraites du tome 16 des Ouvres de jean Jaurès, Critique littéraire et critique d’art, Fayard, p. 411-425 et p.429-441

[11] Camille Grousselas, critique littéraire, philosophie et critique de la société, introduction au tome 16 des œuvres de Jean Jaurès, op.cité.

[12] De la cité socialiste ; marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse. Charles Péguy, Œuvres en prose 1898-1908, La Pléiade.

[13] Charles Peguy, Œuvres en prose 1898-1908, p.239-281

[14] Op.cité, p.245

[15] Op.cité, p.265

[16] Op.cité, p.244

[17] Cité par Edouard Boeglin, « les socialistes à l’assaut du roman », Recherche socialiste, décembre 1999, P.62

[18] M.Reberioux, la République radicale ? Points Histoire. p.186-188

[19] Erik Satie, « notes sur la musique moderne », l’Humanité, 11 octobre 1919.

[20] A lire absolument pour prendre la mesure du bonhomme les Articles littéraires et politiques, ed. Joseph.K

[21] Texte intégral de l’appel dans Arturo Schwarz, Breton/Trotsky, éd.10/18, p.122-129

[22] « Guy Saez, « les socialistes et la culture », Les socialistes et la France, L’OURS

[23] Recherche Socialiste, n°5, décembre 1998

[24] Op.cité, Frédéric Cépède, p.88

[25] Sur le Front populaire et la culture, se référer à Pascal Ory, la Belle illusion, Culture et politique sous le signe du Front populaire

[26] François Mitterrand, Politique, Flammarion, p.571

[27] L’expression est du regretté Philippe Murray

[28] Voir mon article sur Littérature (et cinéma) : ouvrier(e)s, le retour ? , La revue socialiste, avril 2009

[29] Cela a longtemps aussi été le cas à droite, mais, de ce point de vue, le sarkozysme a marqué une rupture avec la tradition, entre dénonciations de la princesse de Clèves comme illustration de l’élitisme des concours administratifs et gaffes ministérielles sur « Zadig et Voltaire ».

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