Affaire Fillon: «Mac Guffin» ou l’exercice du pouvoir

C’est un dessin de Kak publié à la Une de l’Opinion. On y reconnaît un Francois Fillon hagard courant dans un champ poursuivi par un avion qui vole en rase mottes. Les lecteurs auront reconnu l’une des scènes les plus célèbres du cinéma mondial. Dans ce film parfait qu’est «North by Northwest» (La mort aux trousses), Cary Grant campe un homme ordinaire, Roger Thornill qui, parce qu’il est pris pour un autre, se voit contraint de fuir sans cesse des ennemis aussi indistincts qu’impitoyables.

20170202_fillon_cuit_desarroi_a_droite_copie_0

Au milieu du film, on retrouve notre héros loin de Chicago, descendant à l’arrêt de bus Prairie stop, où il doit rencontrer un mystérieux inconnu. Debout au croisement d’un chemin de terre poussiéreux et d’une route déserte inondée de soleil. Au loin, un avion épandeur pulvérise des pesticides… sur la terre nue. Thornill n’a pas le temps de trouver cela incongru : le biplan fonce sur lui, avec des intentions manifestement hostiles. Tous ceux qui ont vu le film n’oublieront jamais cette spectaculaire agression par les airs et cette incroyable vision, celle d’un Cary Grant courant à perdre haleine, cravate au vent, monstre vrombissant en arrière-plan.

Si le dessinateur maison a choisi de faire appel à cette image connue de tous, ce n’est pas, je suppose, pour suggérer que Fillon est victime d’un complot dont il ressortira blanchi après d’harassantes aventures. Pas non plus pour indiquer qu’il y a derrière tout ça un maître espion diabolique (dans La mort aux trousses, c’est l’immense et vénéneux James Mason, dont on voit mal l’équivalent dans la vie politique!)

Non, le détour par l’image cinématographique permet de donner à voir une situation tragique, celle de l’homme acculé, pris au piège, promis à un sort funeste, ne sachant où se réfugier. Peu importe ici que Fillon soit le seul responsable de sa propre disgrâce. Ce qui intéresse le caricaturiste, c’est ce qu’il y a d’universel dans ce retournement de fortune. La littérature, la fiction en général, font souvent appel à cette structure duale (splendeur et misère, ascension et chute), qui se révèle au moment du basculement, matérialisé ici par une menace imminente qui vient des cieux. En un éclair, le visage passe de l’assurance altière du vainqueur à la fébrilité grimaçante du condamné.

Mais peut être Kak est-il doté d’un inconscient indulgent : représenter le champion de la droite sous les traits d’un héros positif (car qui de plus héroïque et positif que Cary Grant?), c’est faire preuve d’une bienveillance peu commune. A moins qu’il ne s’agisse simplement d’une sorte de compassion élémentaire pour celui qui tombe (même s’il est puissant et/ou Tartuffe) et qui, sauf coup de théâtre, finira par mordre la poussière.

S’il y a bien quelque part un scénariste un peu allumé, c’est bien celui qui se plaît à écrire l’histoire du quinquennat, et plus encore, celle de la présidentielle française qui vient. Un scénariste qui ne rechigne devant aucune ficelle narrative

Compassion compréhensible, en vérité, ressentie à l’égard de celui qui, quelle que soit la nature de ses méfaits, subit l’opprobre générale, amplifiée aujourd’hui par les réseaux sociaux. Au passage, pour celles et ceux qui veulent savoir où nous mènera demain le lynchage à l’heure numérique, on ne saurait trop recommander la série britannique «Black Mirror» et ses dystopies si crédibles. Il y a bien une fascination malsaine pour la dégringolade des importants, et ils sont nombreux ceux qui, comme l’écrivait Flaubert dans une lettre célèbre, «se délectent du spectacle des ambitions aplaties».

Mais peut-être faut-il finalement prendre le dessin au pied de la lettre, si j’ose dire. Un hommage au septième art, à ce qu’il a produit de meilleur, et évidemment un clin d’œil à la nature très cinématographique de la vie politique ces derniers mois. Car s’il y a bien quelque part un scénariste un peu allumé, faisant passer les brillants initiateurs de «Baron noir» pour d’indécrottables réalistes, c’est bien celui qui se plaît à écrire l’histoire du quinquennat, et plus encore, celle de la présidentielle française qui vient. Un scénariste (il faudrait mettre au pluriel tant tous autant que nous sommes, acteurs, commentateurs, électeurs, nous contribuons à y mettre notre grain de sel) qui ne rechigne devant aucune ficelle narrative. Et ne néglige pas le recours aux facilités rhétoriques : quel bel effet de clôture que celui que produit cette chute fillonesque, qui fait écho à la chute originelle, qui marque le vrai début du quinquennat de Francois Hollande, c’est-à-dire de l’affaire DSK, elle-même objet d’un – mauvais – film ?

J’en reviens un instant à notre dessin et à Hitchcock. Dans ses entretiens avec Francois Truffaut, le maître revient longuement (et avec humour) sur un concept assez fumeux mais qui a fasciné bien des admirateurs, celui du «Mac Guffin». En gros, c’est l’élément moteur qui apparait dans toutes les histoires, le prétexte aux développements de la fiction : «Dans les histoires de voleur c’est le collier, dans celles d’espionnage ce sont les documents secrets». On pourrait adapter la vision hitchcockienne à la vie politique française. A force de surprises, de rebondissements, d’invraisemblances, de suspense, de cliffhangers à gogo, on en vient à oublier le Mac Guffin, qui est l’exercice du pouvoir. Peut-être justement parce que, dans ce domaine, le spectateur risque d’être déçu?

J’aurais bien poursuivi l’exercice en jetant un œil à ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique. Mais là, c’est la vie qui imite les films. Et tant qu à convoquer des chefs d’œuvre, je chercherais plutôt du côté de Kubrick. Trump a un petit côté «docteur Folamour» qui effraie terriblement, non?

mes derniers articles

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.