Du nouveau sur George Orwell

De Georges Orwell, le lecteur français connaît surtout le prophétique 1984, terrifiante description de la société totalitaire et  La ferme des animaux, satire féroce du monde soviétique. Pourtant, la vie et le travail du romancier britannique, mort en 1950, ne sauraient se résumer à ces deux chefs d’œuvre.
Auteur prolifique, journaliste talentueux, militant jusqu’au bout, Orwell (de son vrai nom Eric Blair) est une figure admirable et lucide. La réédition de l’opuscule de Simon Leys, « Orwell ou l’horreur de la politique », constitue une excellente introduction à la redécouverte d’un grand auteur.

 Dans ce petit essai, Leys va à l’essentiel. Il s’agit, pour lui, de tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues. En rappelant d’abord qu’Orwell n’est pas l’auteur d’une seule œuvre, si visionnaire soit-elle : de nombreux ouvrages précèdent 1984 et méritent d’être lus et étudiés. Autre mérite du livre de Leys : on y apprend qu’Orwell n’a pas toujours été un écrivain engagé. Au contraire, on peut même parler de « conversion tardive », tant il est vrai que ses premiers livres sont « singulièrement apolitiques ». Orwell flirte avec le journalisme, le « roman sans fiction » que Truman Capote se targuera plus tard d’avoir inventé. « Dans la dèche à Paris et à Londres », son premier livre, témoigne d’une formidable attention à la réalité sociale.

 Une fille de pasteur, qui paraît aujourd’hui aux éditions du Serpent à Plumes, appartient également à la première période orwellienne. Ce roman, publié en 1935, raconte les (mes)aventures de Dorothy, fille d’une pasteur austère et diablement pingre. Elle mène, dans sa province reculée, une vie terne et répétitive, ponctuée par les visites aux rares paroissiens et d’innombrables travaux ménagers. Courtisée par un vieux beau un peu lubrique, elle se retrouve soudain amnésique, perdue dans Londres, tenaillée par la faim. Commence alors une logue et éreintante plongée dans la misère, véritable descente aux enfers au cours de laquelle elle fréquente clochards, vagabonds et autres créatures interlopes. Si l’intrigue est parfois un peu tarabiscotée, Orwell excelle dans la description de la vie des « working poors » et des miséreux. Le récit de la récolte du houblon, magnifiquement écrit, est le meilleur passage du roman : Dorothy va partager, quelques semaines durant, le sort des travailleurs saisonniers, exploités et sous-payés. Le retour dans les bas-fonds de Londres précipite un peu plus la dégringolade sociale. En voie de clochardisation, elle ne doit son salut qu’à l’aide discrète de sa famille, qui la tient cependant à l’écart en raison des explications scandaleuses données à sa fuite subite du domicile paternel. Elle est finalement engagée dans une école privée : l’occasion pour Orwell de lancer une charge violente contre ces établissements dans lesquels « la seule chose qui compte, ce sont les droits d’inscriptions ». Une charge non dénuée d’humour, comme en témoigne cette séquence au cours de laquelle les parents d’élèves, soutenus par la directrice de l’école protestent contre cet auteur pornographique inconnu  qu’est…Shakespeare.

 Le véritable tournant « politique » de George Orwell, c’est 1936. De sa participation à la guerre d’Espagne (voir le magnifique Hommage à La Catalogne), il est ressorti écœuré par le stalinisme. Et il le fait savoir. Ce qui lui vaudra des inimitiés solides dans les rangs de la gauche.

 Dorénavant, Orwell ne cessera plus de s’intéresser à la politique : comme l’écrit Leys, celle-ci doit mobiliser notre attention « à la façon d’un chien enragé qui vous sautera à la gorge si vous cessez de le tenir à l’œil ».

 Cette vigilance, elle doit s’exercer contre tous les régimes qui menacent la liberté, contre toutes ces « malodorantes orthodoxies qui rivalisent pour faire la conquête de votre âme ».

 De cette feuille de route naîtront la Ferme des animaux et 1984. Deux immense livres dans lesquels Orwell fait la synthèse entre ses convictions et ses objectifs esthétiques : « Pour écrire dans une langue simple et forte, il faut penser de façon intrépide, et du moment que l’on pense de façon intrépide, on ne saurait plus être politiquement orthodoxe ».

Une absence d’orthodoxie qui dérange. Orwell sera l’objet d’attaques grotesques, auxquelles Leys apporte un démenti convaincant : « On ignore trop souvent que c’était au nom du socialisme qu’il avait mené sa lutte anti totalitaire, et que le socialisme, pour lui, n’était pas une idée abstraite, mais une cause qui mobilisait tout son être et pour laquelle il avait d’ailleurs combattu et manquer se faire tuer durant la guerre d’Espagne ». Leys est autant affligé par les procès ignominieux venus des staliniens que de la tentative de récupération posthume dont Orwell est victime: penseur et contempteur du totalitarisme, l’auteur a quelquefois été enrôlé dans les rangs des conservateurs ou des anticommunistes primaires. Total contresens ! Homme de gauche, socialiste actif, Orwell est simplement un homme assoiffé de vérité et de liberté. A redécouvrir d’urgence.

Orwell ou l’horreur de la politique, Simon Leys, Plon

 Une fille de pasteur, George Orwell, Le serpent à plumes.

(article parue dans le mensuel de l’OURS)

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