A propos du livre de Michel Rocard, « Si la gauche savait »

Le parler vache.

Michel Rocard est une des figures emblématiques de la gauche française du XXème siècle. Cinquante ans de vie militante, qui le mènent de la lutte anticolonialiste de la fin des années 50 au poste de premier ministre en 1988, en passant par le PSU. Une vie vouée à l’action mais aussi à la réflexion doctrinale

: le « rocardisme » a structuré nombre de militants du PS, et, au-delà, cette « deuxième gauche » qui eut longtemps les faveurs de la presse progressiste. C’est dire qu’on attendait avec intérêt le livre d’entretiens entre le député européen et le dernier confident de François Mitterrand (l’ « ennemi intime » de Rocard), le journaliste Georges Marc Benamou. Force est de reconnaître que l’ouvrage, « Si la gauche savait », n’est pas à la hauteur des attentes. Même les plus indulgents à l’égard de l’ancien premier ministre risquent de déchanter à la lecture de ces 350 pages placées sous le signe du règlement de comptes et de l’autosatisfaction.

Il y a bien quelques anecdotes savoureuses, quelques réflexions intéressantes sur l’histoire de la gauche ou sur l’état de la société française. On s’intéressera sûrement aux longues digressions de Michel Rocard sur l’art de gouverner, qui soulèvent, en creux, la question du rapport des socialistes français au pouvoir. Si l’ancien chef de gouvernement est fier de son action à la tête du pays, il ne se départit jamais de cette défiance à l’égard d’un pouvoir qui, par nature corrompt. La façon dont il reconstruit, à partir d’exemples historiques (Aristide Briand contre Clémenceau), une théorie de l’opposition entre « deux approches du politiques », témoigne d’une vision ambiguë de la « mécanique du pouvoir ». A cette occasion, Rocard enrôle Blum qui « a passé quinze ans à tout faire pour éviter à son parti les dangers et les risques du pouvoir ». L’opposition à Mitterrand, qui n’avait pas ce genre de préventions, s’explique peut-être aussi pour ces raisons.

Reste l’essentiel : le livre se contente, le plus souvent, de faire la longue liste des détestations rocardiennes. Rocard confond le parler vrai et le parler vache : « cyniques », « forbans » et autres « médiocres » peuplent la famille socialiste qui a eu le tort de ne pas reconnaître les immenses mérites de l’ancien maire de Conflans qui ne se remet jamais en cause, au point de se défausser sans élégance sur ses anciens collaborateurs quand Benamou ose pointer d’évidentes défaillances ou des erreurs manifestes. La lecture attentive ne dissipe jamais ce malaise persistant : Rocard, dont chacun connaît la rigueur intellectuelle et le goût pour l’analyse, avait tant de choses à dire. Et voilà qu’il se contente de se montrer sous son pire aspect. Celui d’un homme amer, revanchard, manichéen jusqu’à la caricature, animé par le seul ressentiment. Dommage.

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